Avant que les 1 600 participants aux Assises de l’économie de la mer -
ainsi que les milliers de personnes qui les ont suivies en « live » sur le
site internet du marin - n’écoutent le Premier ministre Manuel Valls, qui prononçait là son
premier discours de politique maritime, André Thomas, rédacteur en chef
du marin, lui a adressé le message suivant :
« Monsieur le Premier
ministre,
C’est un honneur pour les
organisateurs des Assises de l’économie de la mer de vous accueillir
aujourd’hui et nous nous remercions chaleureusement de votre venue.
Nous la considérons comme une
marque de reconnaissance de l’Etat pour les activités maritimes, comme ce fut
le cas lors de la venue de vos deux prédécesseurs, Jean-Marc Ayrault et
François Fillon.
Votre présence ici rappelle
également que le Premier ministre est par essence le seul membre du
gouvernement ayant une responsabilité sur l’ensemble de la politique maritime, puisque
la mer touche presque tous les ministères.
Il va de soi que tout le monde
ici vous connaît. Mais il n’est pas certain que vous connaissiez tous ceux qui
vont vous écouter. Je vais donc me permettre, en quelque sorte, de faire les
présentations.
Les hommes et les femmes qui
sont devant vous sont les fils spirituels de 400 générations de marins
qui se sont succédées depuis ce qu’on sait des débuts de la navigation
maritime.
En effet, le navire - c’est
son seul défaut - est plus vieux, bien plus vieux que le train, l’avion, le
camion. Avant que Jules Verne ou Léonard de Vinci n’imaginent l’idée folle du
sous-marin, avant même que la mythologie grecque ne crée Icare et le rêve de
l’homme volant, les marins pratiquaient ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation,
qui a d’abord été la maritimisation du monde.
Cette histoire de la
maritimisation du monde, commencée il y a 14 siècles s'est poursuivie depuis
lors, sans à-coups et en s’amplifiant. Et c’est le public que vous avez devant
vous qui en écrit les pages actuelles.
Ces chefs d’entreprises, ces
marins, ces ingénieurs, ces scientifiques qui vont vous écouter, participent à
la circulation du sang de l’économie mondiale. Ils transportent le pétrole, le
gaz, le fer, le charbon, les céréales, les objets de tous les jours de manière
telle qu'aucun avion, ni aucun train, ni aucun camion ne pourra jamais le
réaliser, avec un ratio écologique imbattable
C’est un monde que les
« terriens » connaissent mal mais sans lequel leur propre vie
s’arrêterait.
Un monde où, comme le disait
Kipling, on doit prendre « le maximum de risques avec le maxium de
précautions ».
Songez qu’un seul grand
porte-conteneur vaut une fois et demi le montant des usines que l’on construit
actuellement pour produire nos futures éoliennes offshore. Et qu’en un seul
voyage, il transporte une cargaison valant l’équivalent du PIB d’un petit État.
Monsieur le Premier ministre,
les hommes et les femmes qui sont devant vous cherchent et trouvent du pétrole
et du gaz sous plusieurs kilomètres d’eau et d’écorce terrestre. Les minéraux
de demain suivront.
Les grands moulins, à eau ou à
vent, qu’ils vont installer au dessus et au dessous de la mer nous
transmettront l’énergie que produit la nature. Un seul d'entre eux pourra
approvisionner un village entier.
Ces hommes et ces femmes
posent à travers les océans les câbles sous-marins sans lesquels les inventions
de Graham Bell et de Bill Gates seraient sans utilité.
Ils pêchent dans les mers les
plus dures des poissons que l’on s’arrache jusqu’au Japon.
Ils cherchent et trouvent par
plusieurs milliers de mètres de profondeur, dans des montagnes volcaniques
sous-marines plus hautes que les Alpes, ou dans des fosses plus profondes que
la largeur de Paris, des formes de vies nouvelles là où il ne devrait y en
avoir aucune.
Ils produisent, sur nos côtes,
les coquillages, les poissons, les algues, qui apportent les protéines
supplémentaires dont l’humanité a et aura besoin à l’avenir, ainsi que les
matériaux qui remplaceront les plastiques qu'un jour on ne pourra plus les
produire à base de pétrole.
Ils conçoivent et exploitent
des paquebots où peut vivre l’équivalent d’un 6e de la population d’Evry,
ville que vous connaissez bien.
Ils dessinent et construisent
des voiliers parmi les plus beaux et les plus rapides du monde.
Pour nous protéger, ils
emmènent sous la mer, par plusieurs centaines de mètres de profondeur,
l’équivalent de 700 fois la bombe d’Hiroshima, sans que personne ne sache où
ils se trouvent et bien entendu, tout en le sachant, eux-mêmes, très
précisément.
Les gens que vous avez devant
vous sont totalement connectés aux autres industries. À toutes les
industries, par nature, par nécessité. Ils servent les industries. Ils sont
aussi clients de ces industries, par exemple de l’industrie spatiale française,
car ils sont de grands utilisateurs des satellites.
Les gens qui vont vous écouter
sont aussi de très bons élèves de l’économie française : leurs
exportations s’élèvent à près de 50 milliards d’euros, soit plus de deux fois
celles de l’aéronautique.
Les hommes et les femmes qui
sont devant vous ont des racines, travaillent dans la technologie,
l'innovation, ils ont de l'audace, ainsi qu'une vision naturellement mondiale.
En outre, ils entretiennent un
lien tout particulier avec leur nation, dont les couleurs flottent sur leurs
navires, du moins une partie de leurs navires. En quelque sorte, les Français
de la mer incarnent ce que la France peut réaliser de meilleur.
Ils ne demandent qu’à faire
mieux encore, si leurs gouvernants partagent la même ambition.
C’est pour cela qu’ils vont
vous écouter avec grande attention. »
André THOMAS, rédacteur en
chef du « marin »
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