Plus encore que sur le vent, le conseil général de Vendée et le conseil municipal de l’île d’Yeu s’affrontent sur l’eau…Normal pour le berceau du Vendée Globe.
Les Islais fiers du caractère insulaire de leur territoire (et de l’éloignement de la terre ferme) sont néanmoins attachés aux liaisons avec le continent. Il existe des solutions d’accès à l’Ile par les voies aériennes. Liaisons quotidiennes par un hélicoptère assurant le transport de passager, le fret léger et le service public des évacuations sanitaires. Liaisons par avion léger, l’Ile dispose d’un aérodrome. Cependant, ces deux services aériens sont onéreux (88 euros le passage aller) ou limités aux possesseurs d’aéronef personnel.
L’immense majorité des échanges avec le continent s’effectue par la mer. Quoi de plus normal pour une Ile.
Que d’eau que d’eau
Les Islais sont donc soucieux des bonnes conditions d’usage de cette liaison maritime. Toutes les parties prenantes font usage de service, les commerçants pour l’approvisionnement en marchandises, les artisans qui importent les matériaux, les pêcheurs qui exportent les fruits de leurs filets. La quasi-globalité de ce qui est consommé sur l’Ile vient du continent.
Au-delà de l’approvisionnement, les bateaux transportent ce qui semble être devenu la nouvelle richesse de l’Ile : Les touristes. Résidents à temps partiel, estivants ou bien visiteurs d’un jour, tous font usage de la liaison maritime. Les bateaux des différentes compagnies acheminent jusqu’à 300 000 personnes durant le seul mois d’Août. L’accès à l’Ile est donc stratégique.
Le conseil Général de la Vendée assure la continuité territoriale et le service public d’accès à l’Ile. C’est ainsi que celui-ci est propriétaire des ports du continent (Fromentine) et de l’Ile (Port Joinville) et finance les déficits d’exploitation de la Compagnie Yeu Continent. De fait, le département assure la gestion des infrastructures et des moyens d’accès à l’Ile.
L’augmentation exponentielle des personnes et marchandises transportées a rendu obligatoire la réflexion sur le devenir de la flotte.
Le Vicomte préfère le bateau norvégien au plombier polonais
C’est ainsi qu’après une longue période de réflexion et de concertation, il aura été décidé de réorganiser la flotte autour de deux navires à grande vitesse (NGV) pour le transport des passagers et d’un caboteur mixte permettant le transport des marchandises et véhicules et accessoirement de passagers.
Le choix de la régie s’est porté sur des navires produits en Norvége, par les Chantiers Fjekkstrand, les NGV permettent le transport de 430 passagers, des bagages et des vélos très usités pour la découverte de l’Ile. Il s’agit de bateaux modernes, puissants et donc rapides. Ainsi, c’est à la vitesse de 32 nœuds (60 Km) que s’effectue la traversée, mettant le continent à 30 minutes de l’Ile.
Philippe de Villiers
© Kerleroux
C’est donc le choix de la modernité et de la rapidité qui aura été fait. La compagnie Yeu Continent axe d’ailleurs toute sa communication sur cette notion de rapidité. Les 30 minutes étant annoncées avec fierté.
La modernité exprime toute sa force dès l’arrivée à la gare maritime de Fromentine, c’est un dédale sans fin de couloirs, passerelles et escalators qu’il vous faut affronter avant de franchir le sas du navire. Cela ne sera pas dépaysant pour les usagers des aéroports. Cependant l’estivant se rendant pour la première fois sur l’Ile sera étonné par le gigantisme déployé au regard de la taille réduite de l’Ile (23 Km2).
Il y aura des nostalgiques et des grincheux pour se rappeler du romantisme des anciens bateaux et notamment de la Vendée. Pour autant et cela est un fait, le département aura fait le choix stratégique de mettre l’Ile à proximité du département d’une manière quasi-hygiéniste. Un tourisme de masse, créant ainsi un second pôle d’attraction pour le développement du département complétant ainsi l’offre du Puy du Fou.
L’insularité et la relative rudesse des conditions de vie hivernale, créaient des ressentiments entre les habitants à l’année (les Islais) et les visiteurs d’un jour, qualifiés de « mille–pâtes » (faisant référence à la longue procession de touriste quittant le bateau et posant le pied sur l’Ile) ou d’envahisseur. Cette animosité est cependant relative, les Islais ayant bien conscience que le développement économique rapide de l’Ile est lié à la consommation de ces touristes d’un jour ou résidents secondaires.
Le choix de cette nouvelle flotte continue à alimenter le débat local. Certains moqueront l’échouage le 21 décembre dernier, du Pont d’Yeu sur un banc de sable et se remémoreront les six heures passées à attendre la montée des eaux, d’autres compareront ces bateaux flambants neufs à des lessiveuses secouant ses passagers à chaque passage lorsque la mer est formée.
Pour autant, la vraie question est celle de l’efficacité économique du choix du renouvellement de cette flotte.
Un budget maousse costaud mais pas vraiment écolo
Le budget est conséquent, 50 millions d’euros investis pour l’adaption des deux ports et l’achat des deux bateaux (19,2 M€ annoncés par le constructeur).
Le choix d’un constructeur norvégien est par ailleurs cocasse, la Norvège n’est pas intégrée à l’Europe et c’est pour autant sur une partie de financement européen que cet investissement aura été rendu possible. Le Conseil Général du Morbihan excercant le même service public pour les îles de Groix, Belle-Île, Houat et Hoëdic aura choisi un chantier de Lanester pour fabriquer le nouveau bateau « l’ Ile de Groix ». Ainsi et curieusement, le Président du Conseil Général, si prompt à dénoncer les plombiers polonais ne craint pas les chantiers norvégiens.
L’exploitation elle-même n’est pas sans poser interrogation. Pour faire simple, les deux nouveaux bateaux, le Pont d’Yeu et le Châtelet, transportent chacun 420 passagers et sont équipés de 4 moteurs de 1900 chevaux. A la vitesse annoncée de 30 nœuds, la traversée ne prend de 30 minutes.
La Vendée retirée du service en 2006, transportait 700 passagers en 1h15 et était équipée de 2 moteurs de 750 chevaux. L’Amporelle, équipée de 2 moteurs de 2300 chevaux transportait 365 passagers sur une traversée de 45 minutes.
C’était ainsi 965 passagers qui étaient transportés par une puissance déployée de 6100 chevaux, soit un ratio cheval/passager de 6,5 La nouvelle flotte, permet le passage de 840 passagers par une puissance déployée de 15 200 chevaux, soit un ratio de 18.
Ce surcroît de puissance utilisée pour le transport d’un passager (le triple) engendre des coûts de fonctionnement proprement incroyables. Par ailleurs, tous les marins savent que la consommation d’un moteur n’est pas proportionnelle à la vitesse, mais exponentielle. C’est ainsi que le poste « carburants » a fait un bond prodigieux dans le budget de la régie.
Ce surcoût oblige chaque année, le Conseil Général à apurer les pertes de la compagnie Yeu Continent. Celle-ci en contrepartie, est contrainte d’appliquer une politique tarifaire plus en rapport avec ces coûts. Suite à la pression subie par l’augmentation du prix des carburants, Yeu Continent a décidé d’augmenter de 10 % le coût d’un aller-retour, soit 68 euros.
Polémique autour des cartes de résident
Au-delà de l’éventuelle diminution du nombre de touristes liée à cette augmentation tarifaire, les habitants eux-mêmes commencent à être exaspérés. Ainsi, chacun de noter que les visites des familles habitant sur le continent à leurs proches seront moins nombreuses. L’une des deux maisons de retraite va fermer ses portes. Curiosité dans un environnement de pression sur le nombre de place d’accueil, à l’Ile d’Yeu, elles ne font pas le plein, les personnes âgées auraient peur de ne plus recevoir de visite des proches.
Le conseil municipal de L’Ile d’Yeu s’insurgeant contre la politique de délivrance des cartes d’« insulaires » permettant de bénéficier de tarifs préférentiels a fait adopter une motion par le Conseil Municipal le 16 octobre dernier.
Qui aura eu l’occasion d’effectuer le trajet depuis Paris en transport en commun, TGV puis autocar depuis la gare de Nantes jusqu’à la Gare Maritime de Fromentine (3h30 dans l’idéal), ne sera sans doute pas à 10 minutes de plus. Il semblerait qu’une diminution de la vitesse des NGV de 30 à 24 nœuds, mettant ainsi l’Ile à 40 minutes du Continent, permettrait de diminuer la consommation de 40 %.
Au-delà des enjeux du développement durable et de la pression exercée sur les énergies fossiles, et ne pouvant compter sur le remplacement rapide de cette flotte mal-adaptée, ne serait-il pas possible d’envisager la réduction de la vitesse.
L’éloge de lenteur se rapprochant de ce fait du mieux disant et de l’efficience que les usagers sont en droit d’attendre d’un service public.
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